UNE URGENCE VITALE
Nous traversons une crise sanitaire d’une ampleur extraordinaire. Cette crise du COVID 19 met nos vies en péril, et vient nous rappeler que la santé est notre bien le plus précieux. Elle nous invite à admettre avec humilité notre vulnérabilité, mais aussi à reconnaître avec courage et honnêteté nos responsabilités. Par-dessus tout, ces temps étranges et suspendus nous donnent l’occasion de prendre du recul sur nos choix individuels et collectifs. Et cette confrontation collective à la mort vient nous questionner sur le sens profond de nos vies et de notre Histoire.
En tant que soignants, nous sommes en première ligne pour affronter l’épidémie. Nous sommes chaque jour qui passe présents aux côtés des malades, de leurs familles, des personnes âgées, isolées ou fragiles. Nous côtoyons l’angoisse, la détresse vitale et parfois la mort. Certains d’entre nous payent de leur vie cet engagement professionnel.
Alors regardons en face ce qui nous met en danger.
Comme tant d’autres (SRAS, VIH, Ebola) il est probable que le SARS-CoV-2 provienne d’un rapprochement entre espèces animales et humains. Nos pratiques agricoles intensives, l’élevage industriel, l’urbanisation, le trafic d’espèces sauvages, la mondialisation à outrance, le tourisme de masse conduisent à la déforestation, à la réduction des espaces naturels et donc au déséquilibre ou à la destruction des écosystèmes et leurs biodiversités. Nous favorisons la transmission des agents infectieux présents chez les animaux sauvages vers l’Homme, mais aussi la transmission interhumaine. Sans changement dans notre prédation sur la vie sauvage et notre organisation socio-économique les pandémies se répéteront…
Il faut aussi souligner, que le danger de cette maladie ne tient pas seulement à la virulence du SARS-CoV-2 pour l’Homme. En dehors du risque lié à l’âge, ce virus est plus dangereux pour les personnes atteintes de maladies chroniques : asthme, diabète, maladies cardio-vasculaires, cancers, obésités… Or nous savons que ces maladies sont favorisées par nos modes de vie, et notre exposition permanente aux différents polluants environnementaux. Non seulement ces polluants nous rendent plus vulnérables à des maladies émergentes, mais ils ont encore bien d’autres conséquences dramatiques pour notre santé : baisse de la fertilité, maladies neuro-dégénératives, puberté précoce, malformations génitales, baisse du quotient intellectuel, troubles du spectre autistique, hyperactivité… Pire, leurs conséquences épigénétiques auront des effets retardés sur plusieurs générations. Il est grand temps de prendre en charge ces questions environnementales à la hauteur de leurs conséquences sur notre santé, certes plus sournoises qu’une pandémie, mais probablement plus graves au final.
Par-dessus tout, il semble encore nécessaire de rappeler que la plus grande menace qui pèse sur notre santé et notre avenir est le réchauffement climatique. Nous nous exposons au danger le plus grave qui soit : la pénurie
d’eau et la baisse des rendements agricoles. Avec la répétition des canicules, le réchauffement des eaux de surface, la dégradation de la qualité de l’air, le développement d’espèces vectrices de maladies, nous risquons de voir se multiplier les maladies infectieuses et les maladies chroniques, sans compter les traumatismes psychiques liées à la répétition des catastrophes naturelles à craindre.
Malgré les alertes des scientifiques, nous y voilà. Cette crise sanitaire nous confronte à la réalité, et ça fait mal. Disons le franchement, depuis l’avertissement de Rachel Carson (1962, « Printemps silencieux »), les rapports successifs du GIEC depuis 1988, qu’avons-nous fait d’autre que de poursuivre la dégradation de la Nature, et l’augmentation des gaz à effets de serre au nom de la croissance ? Aujourd’hui la Terre subit sa 6ème extinction de masse malgré toutes les actions possibles pour éviter le pire. Comment pouvons-nous espérer en sortir indemnes ? Il est grand temps d’agir ensemble, dans la solidarité, au delà de nos différences.
Aussi, nous soignants, invitons les ONG et les associations qui ne l’ont pas encore fait, les élus et les citoyens à soutenir la contribution réalisée par la Convention Citoyenne pour le climat à la sortie de crise. Pourquoi nous direz-vous ?
Une des bases de la médecine n’est-elle pas « mieux vaut prévenir que guérir » ? Quel sens a et aura encore notre métier de soignant face à des maladies dont les causes ne sont pas combattues par nos choix politiques ? Quelle médecine pourrons-nous espérer faire demain dans un monde caniculaire et incertain ?
A l’heure où cette pandémie de Covid 19 nous oblige à envisager des changements profonds, les citoyens français sont légitimes à exiger une politique pour un avenir durable, préservant notre santé et notre environnement.
Nous, professionnels de santé, appelons tous les soignants de France et au-delà des frontières, les ONG et les associations, les élus et l’ensemble des citoyens, à une mobilisation massive et constructive pour soutenir la contribution de la Convention Citoyenne pour le climat au plan de sortie de crise.
Leur travail doit nous servir de base pour nous rassembler, et pour contraindre nos dirigeants à instaurer une politique de développement durable et de respect du vivant pour les générations futures.
Il y a urgence. C’est une urgence vitale.
Docteur Alicia PILLOT, médecin généraliste, Madame Cathy FAITG, cadre sage-femme.
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