Capitalisation des expériences en promotion de la santé : retour sur la journée de partage de la démarche du 1er octobre 2020
LE DOSSIER DU MOIS
NOVEMBRE 2020 :
« Capitalisation des expériences en promotion de la santé : une histoire, des enjeux, une démarche »
INTERVIEW
LE POINT DE VUE DE :
Pierre LOMBRAIL
ADMINISTRATEUR DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE SANTÉ PUBLIQUE
Le 1er octobre dernier, une journée de partage de la démarche de capitalisation des expériences en promotion de la santé a été organisée. Quels en étaient les objectifs ?
Cette journée a été organisée en partenariat avec le Ministère de la Santé. Je tiens à le remercier pour ce soutien, et, plus globalement, son appui à l’ensemble de nos travaux sur la capitalisation des expériences en promotion de la santé.
Il s’agissait du premier évènement national organisé sur ce thème, même si la capitalisation s’inscrit dans une histoire et une dynamique qui ne datent pas d’hier[1].
Depuis 2017, un groupe de travail national dédié à la capitalisation des expériences, coanimé par la SFSP et la FNES, œuvre sur le développement de la capitalisation des expériences en promotion de la santé. Ce groupe[2] comprend des représentant.e.s d’institutions, d’associations, de chercheurs et de personnes qualifiées, très impliqué.e.s pour le déploiement de cette pratique.
Il a souhaité organiser cette journée afin de partager avec le plus grand nombre l’histoire mais aussi les enjeux et apports de la capitalisation des expériences en promotion de la santé.
Il s’agissait également de présenter la démarche méthodologique construite par le groupe de travail permettant de mener une capitalisation de projet en promotion de la santé. Nous allons d’ailleurs dans les prochaines semaines partager largement un guide méthodologique et un guide pratique qui permettront à chaque acteur de la promotion de la santé de s’approprier cette méthode très structurée.
Nous souhaitions également présenter différents projets intégrant la capitalisation et portés par des organisations membres du Groupe de travail national Capitalisation. [3]
[1] Une présentation de Christine Ferron, Déléguée générale de la FNES et Anne Laurent, Directrice de l’Institut Renaudot, incluse dans ce dossier du mois, nous rappelle d’ailleurs cette longue histoire, pleine de rebondissements.
[2] Il compte des représentants des structures suivantes : Aides, ARS Haute Normandie, Collège de Médecine Générale, EHESP, Fabrique Territoires Santé, France Assos Santé, FNES, Institut Renaudot, IREPS Auvergne Rhône Alpes, IREPS Bourgogne Franche Comté, Le Réverbère, Promotion Santé Normandie, PromoSanté Ile de France, Santé Publique France, Société Française de Santé Publique, Université Côte d’Azur, Université de Lorraine.
[3] Un lien vers une présentation synthétique de ces démarches est intégré en dessous de cet interview
Quels sont justement les enjeux et les apports de la capitalisation des expériences en promotion de la santé qui ont été partagés et discutés dans le cadre de cette journée ?
Le rôle de la capitalisation est d’identifier les enseignements partageables issus des pratiques des acteurs de terrain.
Les connaissances issues de l’expérience représentent une très grande richesse d’informations qui ne sont aujourd’hui malheureusement que trop peu partagées. En effet, les acteurs de terrain s’enrichissent de nombreuses connaissances via le déploiement de leurs stratégies d’actions, de partenariats, de démarches participatives, etc. Ils apprennent également énormément des difficultés qu’ils rencontrent voire des échecs auxquels ils peuvent être confrontés.
Pour mener leurs projets, ils peuvent s’appuyer sur des données probantes ou « fabriquer » leurs façons de faire en l’absence de ces données probantes. Ils le font généralement en connaissance des principes d’action de la promotion de la santé et de la santé communautaire. Notamment ceux recommandés par la Commission des déterminants sociaux de l’OMS pour réduire les inégalités sociales de santé, action intersectorielle et partenariale avec les personnes et groupes concernés. Mais même lorsque les données probantes existent, ils doivent comprendre comment les adapter à des groupes sociaux, des cultures, des contextes de vie ou de travail différents.
Ainsi, grâce à ces grands programmes probants nous savons dire ce qui fonctionne, mais sait-on décrire finement comment les adapter à différents contextes, toujours particuliers ?
Qu’elles s’appuient sur des données probantes ou qu’elles soient plus « fabriquées » dans des circonstances spécifiques, ces connaissances issues de l’expérience sont riches d’enseignements et doivent contribuer aux réflexions sur l’amélioration des actions en promotion de la santé[1].
La capitalisation vise ainsi à compléter les données probantes, à travers la valorisation du savoir expérientiel des acteurs de terrain qui développent leur savoir-faire, apprennent de leur expérience et peuvent ainsi contribuer à soutenir d’autres intervenants.
Nous sommes ainsi convaincus qu’il est essentiel de produire, valoriser, diffuser et partager les connaissances issues de l’expérience pour contribuer aux échanges entre acteurs de terrain, mais aussi avec les décideurs et les équipes de recherche. C’est pourquoi nous faisons une priorité du développement des relations avec le monde de la recherche, y compris au sein d’Inspire-ID, axe dont l’IReSP est en charge[2].
Ceci vise à accroître notre expertise collective en matière d’interventions en promotion de la santé, en contribuant au dialogue entre connaissances scientifiques et connaissances expérientielles et, ainsi à l’objectif d’amélioration des pratiques, notamment dans la lutte pour la réduction des inégalités sociales en santé.
Il faut souligner que mettre en lumière l’expérience des acteurs, l’interroger et l’analyser, ce n’est pas seulement une nécessité d’efficacité ou d’efficience. La démarche de capitalisation d'expérience, c'est également une réflexion épistémologique, un questionnement de nos paradigmes scientifiques actuels. C’est aussi une nécessité de reconnaissance de l'altérité, de la place de l'autre comme acteur et auteur. C'est presque un enjeu de démocratie.
En effet, loin de la visée normative habituelle de l’évaluation dans notre pays, la capitalisation peut s’apparenter à ses dimensions cognitive et instrumentale d’une part (on cherche à comprendre ce qui marche, pour qui, comment, dans quels contextes et ce faisant on améliore généralement la qualité des actions) mais également une dimension démocratique (donner à voir « ce qui marche » (ou pas …) et mettre en débat des choix de priorités et des façons de faire)[3] voire « capacitante ». La réflexion épistémologique peut paraitre plus difficile à appréhender. Elle consiste pourtant « simplement » à dire qu’il existe plusieurs modalités d’administration de la « preuve », notamment en santé. Celle qui fait autorité dans le domaine biomédical est l’essai randomisé qui vise à mettre en évidence « toutes choses égales par ailleurs » si l’administration d’un traitement à des personnes malades produit un effet bénéfique sans trop d’effets secondaires par rapport à l’administration d’un traitement de référence, les personnes bénéficiant du nouveau traitement et les autres étant tirées au sort dans un groupe de personnes susceptibles de participer à l’essai (et de recevoir l’un ou l’autre).
Ceci est généralement impossible quand on cherche à évaluer l’impact des interventions de promotion de la santé : non seulement le contexte varie significativement d’une intervention à une autre (impossible de raisonner « toutes choses égales par ailleurs ») mais surtout il est une des composantes majeures de l’intervention et en conditionne le succès. D’expérimentale, la production de preuve devient « constructiviste » et passe par l’analyse rigoureuse de ce qu’il est possible de documenter lors d’une observation fine de ce qui s’est passé (le processus et les effets). C’est le mode habituel de construction des connaissances mobilisé par les sciences de gestion ou les sciences humaines.
Avec la capitalisation, nous disposons ainsi d’un nouvel outil qui, en s’inscrivant en complémentarité avec les données scientifiques de référence, nous apporte des possibilités d’améliorer l’efficacité de nos actions.
[1] Un lien vers une présentation synthétique des enjeux de la capitalisation des expériences en promotion de la santé est intégré en dessous de cet interview
[2] L’IReSP, institut de recherche en santé publique, anime une action concertée de « recherche sur les services, interventions et politiques de santé ». Il soutient de longue date la « recherche interventionnelle en santé des populations » (voir pour cet objet : Alla F et Kivitz J. La recherche interventionnelle en santé publique : partenariat chercheurs-acteurs, interdisciplinarité et rôle social. Santé Publique 2015/3 (Vol. 27), pages 303 à 304
[3] L’évaluation dans le domaine de la santé : concepts et méthode. A-P Contandriopoulos, F. Champagne, J-L Denis, M-C Avargues. Revue d’Epidémiologie et Santé Publique 2000, 48, 517-539. Voir aussi L’évaluation : concepts et méthodes. Sous la direction de Astrid Brousselle, François Champagne, André-Pierre Contandriopoulos et Zulmira Hartz. Les Presses de l’Université de Montréal, 2ème édition, 2011.
Quel est votre bilan de cette journée ?
Je tiens tout d’abord à remercier toutes les personnes qui ont suivi en partie ou dans son intégralité cette journée de partage, pour l’intérêt qu’elles ont porté à notre démarche. Nous étions environ une centaine de personnes tout au long des échanges.
Par ailleurs, je tiens à saluer la présence à cette journée de représentants de partenaires institutionnels historiques de la capitalisation, la Direction générale de la santé et Santé publique France. C’est également grâce au dialogue avec ces partenaires que nous pourrons aller plus loin dans le déploiement de la capitalisation des expériences dans le champ de la promotion de la santé.
Enfin, depuis cette journée, de nombreux acteurs nous ont contactés pour échanger sur la capitalisation et notamment obtenir plus d’explications sur la méthode, sur l’offre de formation que nous sommes en train de construire en lien avec l’EHESP et sur de possibles nouveaux projets de capitalisation.
Je me réjouis que cette journée ait pu susciter ces échanges et j’espère qu’elle marque le début de nouvelles collaborations autour de la capitalisation des expériences en promotion de la santé.
« La démarche de capitalisation d'expérience, c'est aussi une réflexion épistémologique, un questionnement de nos paradigmes scientifiques actuels. Une nécessité de reconnaissance de l'altérité, de la place de l'autre comme acteur et auteur. C'est presque un enjeu de démocratie. »
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