Enfant et écrans de 0 à 2 ans
LE DOSSIER DU MOIS
FÉVRIER 2020 :
ENFANT ET ÉCRANS DE 0 À 2 ANS À TRAVERS LE SUIVI DE COHORTE ELFE, Nathalie Berthomier et Sylvie Octobre, ministère de la Culture, décembre 2019.
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INTERVIEW
Parentalité et exposition des enfants aux écrans
LE POINT DE VUE DE :
Bruno Falissard
PEDOPSYCHIATRE
BIOSTATISTICIEN
PROFESSEUR DE SANTE PUBLIQUE
DIRECTEUR DE RECHERCHE A L'INSERM
Bruno Falissard, la problématique de l’exposition des jeunes enfants aux écrans vous est familière. Qu’avez-vous pensé de ce rapport ?
Les données présentées, issues de la cohorte Elfe, fournissent une description épidémiologique de l’exposition des enfants aux écrans. Il est essentiel de disposer de telles données pour la France. Elles objectivent l’importance des durées d’exposition chez les jeunes enfants, ainsi qu’une différenciation des usages selon les catégories socioprofessionnelles. Factuel, ce rapport est nécessairement humble et prudent dans ses interprétations.
La problématique de l’exposition des jeunes enfants aux écrans se pose-t-elle spécifiquement ?
Tout à fait, la psychologie du développement montre que le jeune enfant se construit dans la rencontre avec l’autre. Il apprend à reconnaitre les intonations de la voix, les mimiques ; ces interactions sont fondamentales. Les écrans occupent une place de plus en plus prépondérante dans nos vies quotidiennes, pourtant il est indispensable d’être totalement présent lorsqu’on s’occupe d’un jeune enfant. Il faut éviter, par exemple, de pianoter sur son smartphone lorsqu’on donne le sein ou le biberon. Nourrir relève d’une symbolique forte, l’enfant doit éprouver un sentiment de sécurité. Avant trois ans, les écrans n’apportent rien au développement, c’est pourquoi l’Académie des sciences et l’Académie de médecine déconseillent leur usage.
Le rapport propose de dépasser l’opposition entre des usages passifs et interactifs des écrans, est-ce un point important ?
Il faut en effet aller au-delà de la simple mesure des supports utilisés, considérer comment les usages sont accompagnés par les parents et la qualité des contenus. L’usage en soi n’est pas un risque. Nous ne disposons pas de données épidémiologiques plus précises, mais d’un point de vue clinique, la problématique du rapport aux écrans fait sens. Laisser un enfant seul devant un contenu médiocre ou l’accompagner dans des recherches interactives sont deux situations très différentes.
Une partie du rapport s’intitule « la télévision premier support de parentalité », comment interprétez-vous cela ?
L’expression est certes abusive, mais recouvre une réalité. L’omniprésence de la télévision au domicile n’est pas un phénomène nouveau. Nombreux sont les parents qui, pressés le matin, courent se préparer pendant que l’enfant reste devant télématin. Sans être au premier plan, la télévision peut constituer un support de parentalité, une béquille. Si c’est une manière d’être ensemble, pourquoi pas ? La parentalité ne doit pas devenir un calvaire. Cela ne me choque pas que certains jours, les parents fatigués de leur journée de travail prennent une pause en passant un film à leur enfant. Lorsqu’ils sont à bout, cela peut être préférable pour éviter que la situation s’empire. La question cruciale est celle de la modération.
Le rapport documente d’importantes inégalités sociales en termes d’usages des écrans, entre des enfants « omnivores d’écrans » et des « sans écrans ».
C’est le problème majeur. Du fait de ces divergences d’usages, nous pouvons craindre un renforcement des inégalités. Certains enfants vont apprendre à accéder aux connaissances grâce aux écrans, mais aussi à identifier leurs propres faiblesses face à ces technologies. Ils vont alors développer des stratégies d’usages. D’autres risquent d’être plus captifs et vulnérables aux effets néfastes des écrans.
Le rapport souligne que les recommandations épinglent les catégories populaires pour lesquelles la télévision est importante dans la construction identitaire et le style de vie ?
Je suis tout à fait d’accord avec cette proposition. Cependant, les dangers des écrans obligent la santé publique à formuler des messages audibles. De comparables enjeux traversent la promotion d’une consommation d’alcool modérée. Comment produire un discours de mise en garde sur des activités que les personnes aiment sans les culpabiliser ? Le préalable est d’avoir des données fiables, puis il faut formuler des messages simples sans être caricaturaux. Il me semble aussi crucial de niveler les exigences : carton rouge pour l’usage d’écran chez les moins de trois ans, alors que chez les jeunes, il faut raisonner sur les modalités d’usages, aborder des problématiques telles que le cyber-harcèlement ou l’addiction aux jeux vidéo.
Le HCSP vient justement de publier une synthèse des connaissances scientifiques sur les conséquences sanitaires des écrans.
Ce rapport met en avant l’important niveau de preuve s’agissant de l’impact des écrans sur le sommeil et le surpoids. Il est plus difficile d’évaluer leur influence dans la survenue de troubles de l’apprentissage et de santé mentale. En tant que pédopsychiatre, ce qui me préoccupe le plus est de savoir si les écrans détériorent le fonctionnement cognitif – les facultés cognitives et sociales. Une chose est sûre, le fonctionnement cognitif évolue, avec des capacités à réaliser simultanément plusieurs tâches, ainsi que de nouvelles aptitudes au vivre ensemble. Par contre, les enseignants se plaignent d’un affaiblissement des capacités d’attention. Même si cela n’est pas documenté épidémiologiquement, il faut porter du crédit à ces alertes, et les pédagogies devront probablement s’adapter à ces évolutions cognitives.
En tant que pédopsychiatre, ce qui me préoccupe le plus est de savoir si les écrans détériorent le fonctionnement cognitif. Une chose est sûre, le fonctionnement cognitif évolue, avec des capacités à réaliser simultanément plusieurs tâches.
POUR ALLER PLUS LOIN
Soigner la souffrance psychique des enfants, Bruno Falissard, Odile Jacob, 2020
@SFSPAsso
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